Lait local au Burkina Faso : les producteurs entre pessimisme et espoir

Sene Kunafoni

Cinquième pays producteur de lait local en Afrique de l’Ouest, avec 1.300.000 litres, le Burkina Faso peut davantage tirer profit de cette filière, pourvoyeur d’emplois et qui lui a rapporté près d’un milliard de francs CFA en 2019.

Grippée depuis quelques temps avec plusieurs facteurs limitants dont souffrent les producteurs, la filière lait local affiche un visage perdu entre pessimisme et espoir.

La crise sécuritaire et sanitaire

Au Burkina Faso, le Sahel et la région de l’Est sont favorables au développement de l’élevage. Le bétail y subit moins d’attaques de parasites. Cependant depuis quelques années, ces deux régions sont en proies à l’insécurité. Quand ce ne sont pas les terroristes qui accaparent des troupeaux, ce sont les populations elles-mêmes qui prennent la clé des champs pour sauver leur vie, abandonnant tout derrière elles. Selon le Conseil national de secours d’urgence et de réhabilitation (CONASUR) , le Burkina Faso enregistrait à la date du 10 novembre 2020, 1 049 797 personnes déplacées internes.

Pour ce qui est de la pandémie du Coronavirus, le pays a déclaré ses premiers cas en mars 2019. Au regard de son expansion, le gouvernement a pris des mesures pour freiner la maladie. Selon Monsieur Ibrahim Diallo, Président de l’UMPLB, ces mesures, quoique nécessaires, ont eu un impact sur la filière lait local. La quarantaine des villes a bloqué l’approvisionnement du lait dans les mini laiteries et cela entrainé une grande baisse de la production et la détérioration des stocks.

Le problème foncier

La population du Burkina Faso est estimée à près de vingt millions d’habitants pour environ 274 200 km2. Cette forte démographie et le développement de l’urbanisme qui s’en suit, ont un grand impact sur les superficies agricoles et pastorales. Dans la capitale Ouagadougou, des éleveurs ont été exproprié de leur zone préalablement destinées au pastoralisme pour en faire des zones à usage d’habitation, de commerce, d’administrations. C’est le cas des quartiers Dassasgho, Ouaga 2000, … L’Etat y avait délimité des zones d’élevages dans les années 70. Mais avec la poussée démographique et l’urbanisation croissante, la zone s’est retrouvée en pleine ville. Les éleveurs ont dû déplacer leurs animaux. Les zones périphériques comme Zagtouli, Loumbila, Yagma,  Gampéla, quartiers situés respectivement à l’ouest, à l’est, au nord et au nord-est de Ouagadougou, dans un rayon d’environ 20 km, dans lesquels les éleveurs s’étaient réfugiés ont vite été aussi rattrapées par l’urbanisation.

 Alimentation, condition phyto sanitaire des animaux et production laitière

L’eau et la nourriture sont aujourd’hui une denrée rare pour les animaux. Aboubacar Héma, producteur de lait à Banfora disait dans son interview accordée au journal l’Economiste du Faso., qu’il doit parcourir 6 km pour abreuver son bétail.

Aussi, les vaches locales ne sont pas parfois des races capables de produire en quantité et en qualité suffisantes. Les agents de santé animale sont peu nombreux et le suivi vétérinaire est assez coûteux.

Les changements climatiques jouant sur les saisons ont un impact sur la fourniture en fourrage . Le gouvernement fait des efforts d’apport en aliments bétail mais cela est insuffisant. Ainsi, la production laitière varie en fonction des saisons. Par exemple, dans le centre de collecte de lait Kaoworal/Kossam de Diarabakoko situé sur l’axe Banfora-Niangoloko, on peut collecter en hivernage près de 300 litres  par jour contre 100 litres par jour en période sèche. En 2019, environ 1 300 000 litres de lait ont été collectés sur le territoire nationale pour une population estimée à près de 20 millions d’habitants. Pour combler le gap, le pays est donc obligé d’importer le lait en poudre.

La concurrence déloyale du lait en poudre

Dans les villages reculés du Burkina Faso, on trouve du lait en poudre. A 100 fcfa, on a son stick et avec un peu d’eau on a du « lait ».

Le Burkina Faso est très impacté par ce substitut de lait appauvrit de ses nutriments naturels, enrichi en matières grasses végétales et fourni par les multinationales. Le lait en poudre est importé en grande quantité et à moindre coût, facile à manipuler et à conserver. Ce qui concurrence fortement le lait local qui lui est un aliment naturel, riche et complet mais produit à petite échelle et dont la manipulation et la conservation requièrent une certaine technicité. En plus le TEC (Tarif Extérieur Commun) appliqué au lait en poudre est de seulement 5%. Il faut dire que le lait en poudre est le principal frein à la promotion du lait local.

Ces difficultés suscitées semblent noyer tout optimisme quant à une quelconque expansion de la filière lait local.

Pourtant des propos recueillis de Mme Amadou Hindatou, responsable plaidoyer et genre à l’APESS (Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane), et coordonnatrice régionale de la campagne « mon lait est local », nous rassure qu’il est encore possible de sauver le secteur.  Pour cela, elle explique qu’il faut une volonté politique forte de la part des dirigeants et un engagement des acteurs de la filière, ce qui est déjà perceptible.

 

En effet, la CEDEAO sous l’impulsion d’une coalition d’organisations paysannes nationales et régionales telles l’APESS, le RBM (Reseau Billital Marobé), le ROPPA (Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs Agricoles de l’Afrique de l’Ouest) sont en train de mettre en place un offensif régional lait. Cette offensive doit déployer une batterie de mesures incitatives pour promouvoir le lait local et un document de stratégie a été élaboré et validé. L’une des mesures proposées est de revoir à la hausse le TEC. Les pays membres se mettront ensemble pour trouver le financement nécessaire à la mise en œuvre de cette stratégie.

Cela démontre une volonté politique affichée de mettre en place un programme d’investissement de la filière. En attendant cela, les Etats peuvent individuellement prendre des initiatives locales. A l’exemple du Sénégal, le Burkina Faso pourrait supprimer les taxes internes liées au lait local. De plus, les autorités pourraient instituer la fourniture du lait local dans les écoles, les hôpitaux et les prisons. Il faut aussi travailler au respect du décret instituant la consommation des produits locaux lors des pauses café de cérémonie. Les acteurs de la filière, quant à eux, ont développé des initiatives pour la promotion du lait local. Il y a « les 72h du lait local » et le « concours lait local » organisés chaque année qui contribuent de plus en plus à la consommation du lait local.

Une plateforme multi acteurs sur le foncier rurale a aussi été mise en place pour contribuer à la réalisation du droit à l’alimentation par la sécurisation foncière des exploitants agricoles à petite échelle.

Toutes ces initiatives déjà développés, en cours ou en perspectives boosteraient fortement la filière lait local au Burkina. Mais pour que ces énormes efforts ne soient pas vains, il faut que les populations intègrent la consommation du lait dans leur habitudes alimentaires, apprennent davantage à dire non aux produits importés pour s’engager dans le « consommons local ».

 Miriam Onadia

Communicatrice CPF/ROPPA

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