Nous sommes le 15 octobre 2016, le gouvernement scelle un accord avec huit syndicats de l’éducation nationale (SYPESCO, SYNEB, SYNEFCT, SYNESEC, SYLDEF, FENARC, COSES et SENEC) pour juguler les grèves incessantes paralysantes du système éducatif. Cependant, faute d’avoir honoré son engagement, les syndicats réitèrent leurs revendications au cours de l’année scolaire 2018-2019. Celle-ci dura six mois.
Suite aux négociations entre le gouvernement et les syndicats, un procès-verbal de conciliation a été signé le 18 Mai 2019 pour sauver l’année scolaire. Cette année, un mois après la rentrée scolaire de 2019-2020, les enseignants déposent sur la table du gouvernement un préavis de grève exigeant l’application de l’article 39 de la loi N° 007 du 16 Janvier 2018 portant statut du personnel de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale qui dispose que : « toute majoration des rémunérations des fonctionnaires relevant du statut général s’applique de plein droit au personnel de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale ».
En droit, avons-nous appris depuis la première année, qu’une loi, directement après sa publication au journal officiel et l’observation du jour franc s’applique sauf une disposition contraire. Ainsi, la loi précitée n’ayant pas prévue de dérogation doit s’appliquer immédiatement. Le gouvernement étant le débiteur doit s’exécuter sans condition aucune. Cette démarche, le respect par le dirigeant de son engagement est une exigence de toute organisation humaine de façon générale et de l’état de droit en particulier.
En remontant dans l’histoire pour s’en convaincre de ce qu’il en était, dans la Rome despotique du Moyen-âge, le despote est celui qui est désigné sur la base d’un pacte pour gouverner. Il est éclairé dans sa conduite, quand il respecte les termes du pacte qui lui donne son pouvoir. Il cesse de l’être et devient un despote obscur, dès lors qu’il tourne le dos à ce pacte. Comme Néron et Cagliari, le chef de l’équipe dirigeante actuelle, un despote ? Surement ! Un despote éclairé ? Certainement pas. Il a tourné le dos à tous ses engagements. Dans une république démocratique, le président est celui qui est désigné aussi sur la base d’une constitution pour présider. Il est guidé dans ce sacerdoce par la constitution de la république. Ainsi, quand le président respecte celle-ci sous son magistère, il est démocrate. Il perd cette qualité, quand il méprise la constitution et porte le manteau d’autocrate.
La constitution prescrit les prérogatives du président, celles-ci constituent à la fois des droits et des obligations. Dans ce sillage, celle du Mali fait du président de la république, le garant de la constitution. Dans ce cadre, Il surveille le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et assure la continuité de l’Etat (Article 29 de la constitution). Ce pouvoir qu’il tient du pacte fondateur de la république n’est pas une faculté mais une obligation. Cette obligation est mal assumée par le chef de l’équipe dirigeante actuelle et la grève des enseignants en est la preuve éloquente.
La posture du gouvernement ne s’expliquerait que par l’incidence financière de la demande des enseignants. Cet argument est à considérer mais il n’est pas valable puisque les dépenses fiscales ne profitant en grande partie qu’à une minorité de contribuables coutent plus par an à l’Etat que la conséquence financière de la revendication des enseignants. Celles-ci dépassent largement la demande des enseignants.
Pour l’année 2017 seulement, elles ont couté à l’Etat 238, 36 Milliards de FCFA (rapport des dépenses fiscales de 2017 présenté par la direction générale des impôts en 2018). Alors que les enseignants ne demandent que 58.826.196 Millions de FCFA (déclaration liminaire du gouvernement du Mali relative à la grève des syndicats des enseignants) pour pouvoir assurer le droit qui doit être le mieux partagé. Celui d’acquérir le savoir.
Est-il nécessaire de rappeler que l’éducation est l’arme infaillible pour permettre à un pays d’assurer son rêve ? Non ! Le degré d’effectivité du droit à l’éducation est la mesure du poids et la richesse de chaque communauté ici-bas. Ce qui fait dire le savant Sénégalais, Cheikh Anta Diop que : « le savoir est la seule force et la seule richesse ici-bas. Chaque pays a le poids des cerveaux de ses chercheurs et cadres scientifiques ». Sa position incisive est fondée, lorsqu’on regard aujourd’hui, la situation difficile d’un « petit pays » comme le Cuba subissant un embargo injuste destiné à l’asphyxier, qui, malgré cela a mis l’accent sur l’éducation et est parvenu à scolariser 99,75 °/° des cubains. Les médecins formés par ce système sont parmi les meilleurs et le Cuba n’hésite pas à secours les pays en détresse par ses médecins. Ils sont aujourd’hui au nombre de 30.000 médecins envoyés dans 34 pays au monde. Le contingent le plus récent, est celui envoyé en Italie composé de 52 médecins et infirmiers pour lutter contre le Covid-19. Cet exemple est la preuve éloquente qu’investir dans l’éducation, développer la recherche scientifique est la clé de voute pour développer un pays. La situation actuelle du Mali résume la vie d’une équipe dirigeante, une équipe qui a tout autant fasciné lorsqu’il chercha le pouvoir et celle d’une équipe qui a tout autant déçu une fois au commande de l’Etat.
Grève des enseignants, une violation de la constitution et la remise en cause de l’Etat de droit par le gouvernement.
La constitution impose au gouvernement l’obligation d’assurer l’exécution des lois (Article 55 de la constitution du 25 février 1992). Il est à constater dans le cas précis que les enseignants ne demandent que l’application d’une loi, singulièrement la loi N° 007 du 16 Janvier 2018 portant statut du personnel de l’enseignement secondaire, de l’enseignement fondamental et de l’éducation préscolaire et spéciale. Faire droit à une telle revendication n’est que l’expression de l’état de droit, et l’attitude contraire est une violation de la double exigence de l’état de droit. Celle pour l’Etat de se soumettre au droit et celle de sanctionner également sa violation. N’accéder pas à la demande des enseignants constitue un manquement à cette exigence constitutionnelle qui fonde toute démocratie républicaine. Celui-ci est une atteinte à la constitution et à l’état de droit.
Au-delà, l’éducation et l’instruction en tant que des droits fondamentaux consacrés par la constitution du 25 février 1992 (Articles 17 et 18), et, les instruments internationaux de protection des droits humains ratifiés par le Mali tels que le Pacte International relatif aux Droits Economiques, Sociaux et Culturels et entrée en vigueur le 3 Janvier 1976 (Article 10 et 13), la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme du 10 Décembre 1948 (Article 26), la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples adoptée en Juin 1981 (Article 17) leurs jouissances doivent être garanties par l’Etat.
De cette façon, aucune action de l’Etat ne doit être de nature à entraver leur mise en œuvre effective. Il en est de même du droit de grève (Article 21 de la constitution) qui est tout aussi fondamental que le droit à l’éducation. La mise en œuvre du premier est une atteinte légale au second. Dès lors, l’exercice du droit de grève engendre une collision préjudiciable au droit des citoyens à l’éducation. Il est par conséquent, de l’obligation de l’Etat de les concilier de sorte que l’un ne vide pas l’autre de son contenu essentiel. Toutefois, dans notre cas d’espèce, l’Etat semble méconnaitre ce principe fondamental de l’état de droit en privant le droit de grève de sa substance au nom de l’éducation en recrutant des volontaires.
De cette manière, la finalité assignée au droit de grève ne pourra plus être atteinte. Celle de faire la pression sur un ou un groupe d’employeurs dans le but de satisfaire une revendication. Cela constitue également une atteinte au droit de grève et par conséquent aux droits de la personne humaine. Ainsi, le gouvernement méconnait son obligation par sa politique et son comportement despotique obscur. Celle de garantir le respect des droits des citoyens. Une telle attitude n’est pas acceptable dans une république et dans un Etat de droit. Par ailleurs, l’Etat de droit est affaissé par la mauvaise gestion de la grève des enseignants. Dans une démocratie, l’Etat de droit s’entend d’un double dimension, dont l’une est formelle et l’autre matérielle. Formellement, l’Etat se pose ou se repose dans l’ordre juridique. Matériellement, cette soumission, institutionnalisée, au droit implique le respect intangible des droits de la personne humaine, sacrée et de sa dignité irréductible.
La Primauté du Droit est sans cesse menacée par la même grève. Puisque, le traitement de celle-ci par le gouvernement souvent heurte les principes de l’état de droit. Ainsi, elle est réprimée de façon barbare et sauvage. L’absence d’assentiment de l’autorité administrative à une marche ou à la manière de le faire ne peut justifier sa répression. Dans une démocratie, la violence même si elle est légale, elle doit être proportionnée. Pour reprendre Abdou Latif Coulibaly, la république abimée, la lettre à Abdoulaye Wade Yinghou, Editions sentinelles, Avril 2011, p 46 « ce qui fait la beauté et l’élégance d’un Etat de droit, c’est, entre autres, la mesure et la maitrise de la violence légale, quand son usage s’impose à l’égard des citoyens »
Pour étouffer les voix discordantes, une méthode autocratique est utilisée par le régime.
La classe dirigeante actuelle pense que la politique est le prolongement de la guerre, il voit ainsi les adversaires partout. Dès lors que vous ne lui faites pas allégeance, vous êtes identifié comme un « ennemi » à abattre. De cette manière, le citoyen individuellement considéré ou collectivement situé, peu importe, dès lors qu’il manifeste un désaccord, est pourchassé et traqué. Il est au besoin éliminé. Ainsi, la classe dirigeante et ses sbires pour arriver à cette fin procèdent de deux manières : Ils vous soumettent par l’argent ou vous intimident, voire même vous agressent physiquement. De cette façon, sans risque de nous tromper, nous pouvons affirmer que la République est garrottée. Ses institutions sont dévoyées. L’état de droit est hypothéqué. L’Etat même est captif et nul ne semble s’en émouvoir parce que chacun pense à ses intérêts égoïstes.
Grève des enseignants, une raison d’indignation.
« Les raisons de s’indigner peuvent paraitre aujourd’hui moins nettes ou le monde trop complexe (…) Mais dans ce monde, il y a des choses insupportables. Pour le voir, il faut bien regarder, chercher. Je dis aux jeunes : cherchez un peu, vous allez trouver. La pire des attitudes est l’indifférence, dire « Je n’y peux rien, je me débrouille (…) » Je vous souhaite à tous, à chacun d’entre vous, d’avoir votre motif d’indignation. C’est précieux. Quand quelque chose vous indigne comme j’ai été indigné par le nazisme, alors on devient militant, fort et engagé » Hessel Stéphane : Indignez-vous, Paris, indigène Editions, octobre 2010, p3. Cité par Abdou Latif Coulibaly, la république abimée, la lettre à Abdoulaye Wade Yinghou, Editions sentinelles, Avril 2011, prologue.
La grève des enseignants en est une de ces choses. Je suis jeune donc, je fais mienne la recommandation de Stéphane Hessel. Je cherche incessamment dans ce Mali injuste qui m’a vu naitre une raison de m’insurger. Tel que demandé, Stéphane à la jeunesse Française. Chers enseignants, j’ai cherché et trouvé dans votre grève un motif de m’indigner. Je dois confesser que votre grève est un symbole. Elle est la marque saisissante d’une ambition manquée pour ce pays. Celle de bâtir une république fondée sur des valeurs de dignité, de justice et d’égalité après le règne chaotique de sa devancière. Cette ambition qui a guidé le choix du peuple Malien demeure insatiable. Elle n’est pas toujours satisfaite et n’existera peut-être jamais satisfaite, s’il ne comprend pas que sa souffrance tire sa source dans un système et non dans un régime politique. Et, pour assurer cette mission, chers enseignants vous avez un rôle éminemment important à jouer. Celui de créer un nouveau citoyen pour sauver la patrie meurtrie.
Grève des enseignants, une marque d’espoir ?
« Si le grain de blé qui est tombé en terre ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits. Celui qui aime sa vie la perdra, et celui qui haï sa vie dans ce monde la conservera pour la vie éternelle » Gide André, si le grain ne meurt pas, 1924. Chers enseignants, la grève que vous poursuivez, la souffrance que vous subissez sont à l’image de ce grain de blé. C’est pourquoi, comprenant Gide, nous donnons un sens positif à cette cruauté absurde que vous encaissez. Elle est une source d’espoir, car elle est symptomatique de la fin prochaine d’un système chaotique aux abois. Un système dont les pratiques montrent et convainquent tous les jours le plus de maliens que le choix politique opéré en 2013 en la faveur de l’équipe actuelle a été une erreur monumentale. Votre grève ne sera pas vaine. Elle ne la sera jamais !
Certes. Vous étiez nombreux à placer votre confiance en elle en 2013 et 2018, alors qu’elle battait campagne pour accéder et se maintenir respectivement au pouvoir. Elle promettait le changement auquel vous aspirâtes. Sept ans après sa prise de pouvoir, la réalité vécue et vivante accable l’équipe actuelle et la disqualifie.
Que faire ?
Le gouvernement doit mettre les enseignants dans leur droit en appliquant la loi 39 sans condition. La seule solution républicaine et démocratique de la grève actuelle des enseignants réside dans le respect de la loi. Pour éviter de situations pareilles, nous devons créer une véritable nouvelle morale politique. Celle qui hante le politique à honorer ses engagements. Celle qui fait de la loi, la seule boussole de gouvernance de l’Etat. Celle qui intègre l’éthique et la morale dans la conduite de toute action politique. Il est louable d’abandonner la politique de destruction et de déconstruction pour choisir celle de construction et de reconstruction de la république déjà affaissée. Pour parvenir à une telle solution, nous avons l’obligation de faire de l’enfance une période de formation de chaque citoyen individuellement et de chaque groupe de citoyens collectivement aux valeurs essentielles de l’humanité et surtout d’initiation aux valeurs républicaines, patriotiques, civiques et celles cardinales humanitaires. Celle de respecter la parole donnée qu’elle soit politique ou sociale. Celle de respecter les règles d’éthique et morale dans la conduite de l’action politique.
Il faut surtout penser à congédier ce système qui a tant duré et qui ne cesse de ravager sur son passage toutes les valeurs et tous les principes essentiels d’humanité. Nous devons mettre un terme à cette gouvernance prédatocratique pour reprendre Abdou Latif Coulibaly, la république abimée, la lettre à Abdoulaye Wade Yinghou, Editions sentinelles, Avril 2011.
Demba TRAORE, Masterant en Droits de l’Homme et de la Paix
Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).