Mali : Une mère qui abandonne ses enfants en détresse !

Sene Kunafoni

L’Etat Sénégalais, à l’instar des autres Etats touchés par le COVID-19, a décidé la suspension des enseignements aussi bien dans les écoles que dans les universités. Cette situation a corrélativement entrainé la fermeture des campus sociaux et les restaurants universitaires dont dépendent étroitement certains étudiants dont les nôtres. La décision de suspension qui entre en vigueur le lundi 16 mars 2020, pour une durée initiale de 3 semaines, a été prorogée jusqu’au 4 mai par un décret du 3 avril 2020.  

Face à la précarité de leur situation, car n’ayant ni où habiter ni où manger, les étudiants ont résolu de rejoindre le Mali pour la durée de la suspension. Toutefois, Ils ont été confrontés au problème de la fermeture des frontières. Ainsi, en citoyens disciplinés, ils saisirent notre Ambassade au Sénégal pour leur faciliter la tâche. Celle-ci sensible à leur préoccupation, leur donna une suite favorable conformément à l’un de ses mandats, celui de protéger les ressortissants Maliens au Sénégal.

Conformément à la procédure légale en vigueur, l’Ambassade saisit les autorités Sénégalaise et Malienne pour l’obtention d’une autorisation de voyage nécessaire pour la circonstance au rapatriement de (soixante-dix 70) étudiants qui souhaitèrent regagner le Mali le 03 Avril 2020. Grande fut notre surprise de constater que l’Etat Malien a refusé le retour des étudiants déjà épuisés par des tractations administratives interminables.

Ce refus du gouvernement du Mali, une atteinte injustifiable aux droits et libertés fondamentaux.

Dans une vision anthropomorphique, l’Etat est le père de chaque fille et fils de la Nation. Il jouit ce statut particulier, en vertu du contrat qui le crée et le lie à chaque citoyen. Il résulte de ce contrat l’exigence fondamentale pour l’Etat de protéger ses ressortissants en tous lieux et en toutes circonstances. Le rapatriement des étudiants s’inscrit dans la droite ligne de cette protection. Son opposition doit s’analyser et s’analyse comme un manquement à cette obligation. De sa surdité aux cris de ses ressortissants affligés, il saute à l’œil que l’Etat a cru utile de violer royalement leurs droits fondamentaux au premier rang desquels, la liberté de circulation et l’interdiction de l’exil forcé.

La liberté de circulation est garantie par la Constitution du Mali (Article 5 de la Constitution du Mali) ainsi que la proscription de l’exil forcé (Article 12 de la Constitution du Mali).

Au-delà de la Constitution, la liberté de circulation est consacrée par les instruments internationaux de protection de la personne humaine ratifiés par le Mali en occurrence la Déclaration universelle des droits de l’homme (Article 13), le Pacte relatif aux droits civils et politiques (Article 12 alinéa 2). Il en va de même de l’exil forcé également interdit par la Déclaration universelle des droits de l’homme (Article 9), du Pacte relatif aux droits civils et politiques (Article 12 alinéa 4) et de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Article 12 alinéa 1).

En outre, le droit international impose aux Etats l’obligation et le devoir en matière des droits humains. Celle de s’abstenir d’intervenir ou d’entraver l’exercice des droits de l’homme. Celle de protéger les individus et les groupes contre les violations des droits de la personne humaine et celle de prendre des mesures positives pour faciliter l’exercice des droits fondamentaux de l’homme. Il ne fait point de doute que l’Etat Malien par sa décision porte une atteinte grave aux droits évoqués en haut.

La liberté de circulation et l’interdiction l’exil forcé peuvent-elles être l’objet de restrictions ?

Seule la catégorie de droits de la personne relevant du noyau dur ne peut faire l’objet de restrictions. Or, la liberté de circulation et l’interdiction de l’exil forcé ne relèvent pas de celle-ci. Cela revient à dire qu’elles peuvent être l’objet de restriction lorsque les circonstances l’exigent. Ces limites auxquelles la liberté de circulation et l’interdiction de l’exil forcé peuvent être assorties doivent être prévues par la loi et ne doivent en aucun cas avoir pour finalité de leur priver de leurs objets. Le refus des autorités Maliennes d’accéder à la demande de rapatriement des étudiants Maliens est une violation de leur droit à la liberté de circulation et constitue par conséquent une contrainte à l’exil.

Si la protection de l’ordre public sanitaire justifie la décision de l’Etat Malien, ne pouvait-il pas soumettre les étudiants à la quarantaine avant d’autoriser leur accès sur le territoire national ? Leur rapatriement constitue-t-il une discrimination comme le prétendent certains ? Pour la première question, la réponse affirmative s’impose. Ainsi, le gouvernement pouvait soumettre les étudiants aux mesures de contrôle sanitaires avant de leur laisser accéder au territoire national. Cette idée de protection de l’ordre public sanitaire allait être plus pertinente sur le plan moral si le virus n’était pas encore déclaré au Mali. La réponse de la seconde question est négative. On aurait pu conclure qu’il y a discrimination lorsque certains étudiants Maliens du Sénégal devraient être rapatriés en laissant d’autres. Mieux encore le fait que d’autres étudiants Maliens soient bloqués au Maroc, Algérie etc. est un argument à considérer mais non valable. Cet argument pouvait asseoir la thèse de la discrimination si c’était le gouvernement qui devrait assurer le rapatriement. Or, c’est l’Ambassade du Mali au Sénégal qui s’était chargée à assurer le retour des étudiants Maliens du Sénégal et celle-ci ne représente que la communauté Malienne vivant au Sénégal.

Pire encore après la fermeture des frontières le 19 Mars 2020, les autorités Maliennes ont admis un avion Air France sur le sol Malien au bord duquel il eut (trois cents 300) passagers. Ces passagers sont-ils bénéficiaires d’un statut particulier ? En réalité l’attitude des autorités Maliennes n’est que l’expression de la nature de notre Etat et celle de son régime. L’imprudent Victor Hugo n’a pas totalement tort de voir l’exil forcé comme une punition mais s’y trompa en affirmant qu’il est l’apanage des régimes tyranniques : « L’exil est un lieu de châtiment. De qui ? Du tyran. Mais le tyran se défend. » Actes et paroles/Pendant l’exil,

Nous pensons que l’exil forcé est l’exclusivité d’un régime voyou. Celui qui nie ses engagements découlant du contrat social pour reprendre Jean Jacques Rousseau. Le nôtre en est un. Nous l’affirmons que nous voulons retourner au Mali, nous disons bien retourner au Mali !

Demba TRAORE, Masterant en Droits de l’Homme et de la Paix

Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

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