Chronique : Le Mali, La Crise du Raisonnement et le Piège des Coups d’État Répétés

Sene Kunafoni

Le Mali traverse, depuis plus d’une décennie, des périodes de turbulences institutionnelles qui se suivent et se ressemblent.
Un changement de régime se produit, souvent accueilli par une partie de la population comme une délivrance face à une mauvaise gouvernance, pour être remplacé, quelques années plus tard, par un nouveau changement… non moins anticonstitutionnel.

Ce cycle incessant de ruptures est souvent analysé sous l’angle de la sécurité, de la géopolitique, ou de l’échec démocratique. Mais si l’on prend de la hauteur, on réalise que le véritable problème du changement, au Mali comme ailleurs, est d’abord une crise du raisonnement.

Le Raisonnement Émotionnel Contre le Raisonnement Systémique

La crise du raisonnement se manifeste de deux manières principales :

Le Raisonnement de la « Solution Magique » : Le peuple malien, épuisé par l’insécurité, la corruption et l’absence de justice sociale, tend à percevoir le changement anticonstitutionnel comme un acte purificateur immédiat.
L’ancien régime est étiqueté comme la source unique du mal, et son renversement comme la seule solution. C’est un raisonnement linéaire et simpliste qui ignore la complexité des défis.
Un changement de leadership, aussi bien intentionné soit-il, ne peut pas, à lui seul, défaire des décennies de fragilité étatique et de réseaux d’intérêts complexes.

L’Échec du Raisonnement Systémique : La vraie crise du Mali est systémique. Elle est une imbrication de la mauvaise gouvernance, de la dégradation sécuritaire régionale, de l’échec du contrat social (État/citoyens), et des dynamiques communautaires .
Les changements de régime successifs échouent car ils s’attaquent à la manifestation (le leader en place) plutôt qu’à la structure (le système étatique et politique qui permet à la corruption et à l’insécurité de prospérer).

Le changement n’est pas un interrupteur que l’on actionne, mais une transformation progressive du système entier.

La Crise de la Patience et de l’Héritage Institutionnel

Chaque changement anticonstitutionnel, en suspendant la Loi fondamentale, détruit un peu plus la confiance dans le seul outil qui permette un changement pacifique et durable : la Règle de Droit.

L’Effacement de la Mémoire (Raisonnement Itératif Manquant) : À chaque rupture, on a tendance à effacer l’ardoise, jetant l’eau du bain avec le bébé. Au lieu de raisonner en termes d’amélioration progressive des institutions (identifier ce qui a échoué dans la dernière Constitution, le corriger et renforcer la Justice), on privilégie l’acte de force qui démantèle tout. Ce faisant, on ne capitalise jamais sur l’expérience institutionnelle antérieure.

La Légitimation de l’Illégalité : Lorsque l’accès au pouvoir par la force est perçu, même temporairement, comme plus rapide et plus efficace que la voie démocratique, le raisonnement civique s’affaiblit.
Le signal envoyé aux générations futures, aux partis politiques et aux corps constitués est que l’instabilité est une méthode légitime de régulation politique.

Ce manque de raisonnement éthique et de respect de la loi crée une précarité permanente où personne n’est certain de la durée des institutions en place.

3 Réinventer le Raisonnement pour un Vrai Changement

Pour que le Mali puisse rompre avec ce cycle, la solution ne réside pas seulement dans les urnes ou les réformes sécuritaires, mais dans une refondation de notre manière de penser le changement :

Cultiver le Raisonnement Complexe : Il faut éduquer à la pensée critique et systémique, en reconnaissant que les problèmes ont des causes multiples et que les solutions exigent patience et compromis.

Valoriser la Continuité dans la Rénovation : Le changement véritable est celui qui corrige sans détruire l’institution. C’est le raisonnement qui maintient le cap des principes constitutionnels tout en réformant radicalement les pratiques de gouvernance.

Restaurer la Souveraineté du Droit : L’unique rempart contre la tyrannie et le chaos n’est pas l’homme fort, mais la force de la loi. Une loi stable, respectée et appliquée de manière équitable. C’est le raisonnement qui fait primer la légalité sur la légitimité populaire passagère.

Tant que nous continuerons à croire qu’un simple changement de personnes peut résoudre une crise systémique, nous resterons prisonniers d’une crise du raisonnement qui coûte au Mali son développement, sa stabilité, et l’avenir de sa jeunesse.

Lamine Siby, plume libre
Envoyé spécial de #DATOUMA_Magazine sur la situation du Mali

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