Guerre par procuration au sein M5-RFP ? Guerre des postes ou la fin des alliances conjoncturelles et incestes au niveau de ce conglomérat d’acteurs ?
Nous apprenions par le canal des médias, un communiqué de la session extraordinaire du M5-RFP, du 05 mars 2024, relatif à la révocation du Président du Comité stratégique, lu par Jeamill Bittar, au nom du vice-président par intérim, l’imam Oumarou DIARRA, « le comité stratégique s’est réuni en session extraordinaire pour examiner les suites réservées par le Président Kokalla Choguel, l’invitant à se hisser à la hauteur de ses responsabilités…constatant l’expiration du délai qui lui a été imparti pour ramener la cohésion sociale et la sérénité au sein du M5-RFP. Regrettant au contraire des propos injurieux et diffamatoires de ses porte-voix attitrées. Décide de révoquer, purement, simplement et démocratiquement le mandat du président initialement confié à Choguel Kokalla Maiga. A partir de cet instant, il est redevenu un simple militant du M5-RFP ».
Faits marquants à la lecture de ce communiqué. Premièrement, il a été lu et rendu public, par l’ex chantre de Choguel Maiga, en occurrence, Jeamill Bittar, celui qui le présentait à tout bout de champ, comme le ‘’Pape’’, le ‘’Prophète’’ pour sauver le Mali de l’impasse, voire la sainte trinité ‘’le père, le fils et le saint esprit’’, l’indispensable ou l’irremplaçable. Deuxièmement, on a remarqué sur les images à la droite de Jeamill Bittar, lisant le communiqué, une ex chargée de mission à la primature dont le décret a été abrogé, il y a quinzaine de jours.
Pour autant, le résumé qu’on puisse tirer de ce communiqué en dehors de la révocation du Président du comité stratégique, le clan adverse lui reprocherait d’avoir utilisé certains militants de son clan pour discréditer le mouvement à travers une compagne de désinformation et de dénigrement du clan de la fronde, dirigé par le vice-président par intérim, l’imam Diarra et ses alliés potentiels. L’ironie du sort, en est que certains alliés stratégiques d’hier du président Choguel sont devenus aujourd’hui des alliés potentiels de l’imam Diarra pour le combattre. En tous les cas, la morale n’existe pas en politique, mais les coups bas, la recherche d’intérêts personnels et machiavéliques. En effet, le dialogue et le consensus auraient pu prévaloir sur les rapports de force ayant conduit à la révocation du président du comité stratégique, à qui on reprocherait de détourner le mouvement de ses objectifs pour des fins personnelles dans le marigot politique de la transition. De par le parcours de certains leaders du M5-RFP, ils auraient pu trouver l’équilibre, faisant des compromis pour maintenir le climat de paix, la cohésion sociale et l’entente, en dépassant les attaques par presse interposée, le discours clivant et de haine, la désinformation, le dénigrement, les positionnement partisans, etc. Pour paraphraser le Félix Houphouet Boigny, en 1991, lors de la grève des étudiants en symbiose avec l’opposant Laurent Gbagbo « dans un pays, on ne peut pas gérer tous les problèmes ; il faut souvent les déplacer en faisant des compromis et des compromissions pour ne pas bloquer le pays… ». Car en politique, il n’existe, ni l’ami éternel, ni l’ennemi éternel. Les situations de conjoncture et les alliances stratégiques en construction et en déconstruction suivant les intérêts et les visions des acteurs importants, sont les déterminants ou variables mesurables de l’évolution de la scène politique.
Le Président du M5-RFP, le Premier ministre, le Dr Choguel, serait-il devenu encombrant au sommet de l’Etat ? La question reste posée ! Cependant, quand on analyse le développement des événements ayant conduit à cette lourde décision de la session extraordinaire du M5-RFP, révoquant son président du comité stratégique, on est à même de se poser des questions, si ce clan de l’opposition farouche au sein du M5-RFP, n’a pas mené cette guerre par procuration pour l’affaiblir, le fragiliser et le discréditer davantage en tant que chef du gouvernement aux yeux de l’opinion publique et du Président de la transition, si on s’en tient à cette déclaration du Président du M5-RFP, en occurrence le Premier ministre Dr Choguel, en ces termes lors de sa rencontre avec les structures de base du M5-RFP, au pavillon des sports : « Il y a des militaires qui cherchent à affaiblir le M5. Je les connais et je constate ce qu’ils font pour y parvenir. Je connais les noms de beaucoup d’entre eux et ils font leurs réunions toute la nuit. Ils veulent affaiblir le M5. Ils rassemblent les membres du M5-RFP pour leur faire croire que tous leurs problèmes viennent de leur président. On ne sait pas s’il veut être président ou pas. Ainsi, pour l’affaiblir, il faut dire que vous ne voulez pas de lui. De cette façon, quand il sera affaibli, il va se rendre».
A l’évidence, le dialogue a échoué pour concilier ces deux clans, qui se combattent pour avoir le contrôle des structures de base du M5-RFP, pour se faire une certaine légitimité auprès des masses populaires et du Président de la transition, dans la perspective de partage des postes au sommet de l’Etat et au niveau de la haute administration publique. Il est clair qu’il y a des divergences fondamentales entre le Présidant du comité stratégique et celui du clan du vice-président par intérim, mais le dialogue fraternel et sincère aurait pu éviter ce chaos et cette fragilisation du mouvement, sachant déjà que ce dernier se serait fait trop d’adversaires au sein de la classe politique, qui lui reprocherait de travailler à consolider le pouvoir des militaires, en vue d’affaiblir les formations politiques, surtout, celles issues de la vieille garde politique. Constat, on reproche certaines choses à Choguel est-ce réellement, il en est quelque chose pour tout ça ? Car, en l’écoutant souvent depuis la rectification de la transition, résultant à sa nomination en qualité de chef de gouvernement, sa posture semblerait être de ce que les grands spécialistes en sciences Po et en relations internationales pourraient qualifier de « Léviathan boiteux ou émasculé », c’est-à-dire quelqu’un qui a le pouvoir et ne dispose pas de tous les leviers du pouvoir décisionnel. Et l’éjection de tous les membres du gouvernement de transition, à la suite du dernier remaniement, à l’exception d’un seul, pourrait bien corroborer ou réconforter cette thèse.
Cependant, le Premier ministre, le Dr Choguel, selon plusieurs analystes et acteurs politiques aurait échoué à stabiliser le climat sociopolitique sous la transition, de par, ses prises de position, qui ne seraient pas de nature à fusionner les alliances stratégiques et les intelligences autour de la transition en cours dans le pays. C’est un homme extrêmement intelligent et futuriste en calcul politique. D’ailleurs, d’aucuns le décrivent Choguel, comme un vieux ‘’routier’’ de la politique malienne, un adversaire averti, mais qui n’est fort que quand il est en position de force en face d’adversaires peu outillés et faibles. Mais quand il se trouve en face d’adversaires bien outillés et forts, il s’affaiblisse facilement. Or, le M5-RFP vient d’être récupéré par le clan de l’Imam Oumarou DIARRA, qui jouit d’une certaine légitimité de la part de certains dinosaures de la vieille garde politique du Mali. Pourrait-il se relever de ce coup fatal ? Les jours à venir dans les rapports de force au sein du M5-RFP, nous le diront certainement !
Par ailleurs, historiquement au Mali, les Chefs d’Etat ne protègent pas leurs premiers ministres, ni les membres du gouvernement en fonction. A la moindre contestation, on s’en débarrasse illico presto pour éviter que le pays ne s’embrasse dans une crise sociopolitique et institutionnelle. En somme, seul le Président de la Transition peut décider ou pas du maintien de son Premier ministre en fonction, affaibli, fragilisé et discrédité par le M5-RFP, parce que cela relève de ses prérogatives constitutionnelles.
En effet, le Président de la transition doit soutenir et protéger son Premier ministre, le Dr Choguel Maiga dans ce tsunami ou turbulence qui risque de l’emporter sans pitié. Le démettre immédiatement de ses fonctions à la tête de la Station Primatoriale, car relégué depuis sa révocation à un rôle de second plan (simple membre), en qualité de PM issu de leur rang ; serait de le jeter dans la gueule du lion, ou l’enterrer politiquement à jamais. Parce que la classe politique et ses anciens camarades de lutte du M5-RFP, ne seraient pas prêts à lui faire des cadeaux, comme il ne leur pas fait, depuis sa nomination. Au demeurant, quoi qu’on puisse dire, quoi qu’on puisse lui reprocher dans le politiquement correct, il a été d’un apport capital, voire indispensable pour les grandes orientations stratégiques de l’action gouvernementale depuis la rectification de la transition. Il a travaillé d’arrache-pied, débout contre vents et marées pour protéger la transition contre toutes les turbulences au regard de la polarisation des acteurs socio-politiques dans le pays. Il a été la cheville ouvrière ou l’artisan infatigable pour protéger la transition et le pays contre toutes les ingérences de l’extérieur dans les affaires intérieures du Mali. Qu’on l’aime ou pas, cet honneur lui revient de droit, en tout lieu et en toute circonstance.
A la lecture de tout ce qui précède, le Directeur de Cabinet du Président de la transition, qui est sa mémoire, doit le conseiller à descendre sur l’arène politique, en travaillant à stabiliser le climat sociopolitique. S’il ne se sentirait pas à l’aise dans ce rôle ; il pourrait instruire au Ministre d’Etat, Ministre de l’intérieur, le Colonel Abdoulaye MAIGA de redynamiser le cadre de concertation des partis politiques pour trouver des solutions durables à l’instabilité sociopolitique du pays.
Au demeurant, dès l’annonce officielle d’un nouveau calendrier électoral ; il pourrait se débarrasser de son Premier ministre, le Dr Choguel MAIGA et nommer un Premier ministre neutre ayant comme missions principales l’organisation d’élections démocratiques, libres, transparentes et crédibles. Naturellement, il le faudrait parce que le Dr Choguel MAIGA est chef de parti politique, et même s’il n’est pas candidat à la présidentielle à venir, son parti pourrait soutenir un candidat à la course pour Koulouba. Ce faisant, quelle que soit l’issue des élections, elles seraient contestées par certains protagonistes et parties prenantes. Au-delà de l’élection du président de la République, les élections (législatives, régionales, locales et sénatoriales) seront une opportunité pour tous les partis politiques de mesurer leur poids dans l’échiquier politique national. Il en va de soi que son parti va certainement va présenter aux différentes consultations électorales (législatives, régionales, locales et sénatoriales). De ce fait, leur organisation par un Premier ministre neutre, serait une source de stabilité sociopolitique et institutionnelle à la fin de cette transition démocratique en cours dans le pays.
Dr Bréhima Mamadou KONE
Chercheur en Sciences Po
Expert en politique et administration électorales
Analyste politique