Le Mali suffoqué depuis des années, le Dr Aly TOUNKARA, Enseignant-Chercheur à l’Université des Lettres et des Sciences Humaines de Bamako évoque dans ce passage que dans l’hypothèse très peu plausible d’un départ prématuré et musclé du Président de la République, la transition risque d’être compliquée que ne l’est la situation actuelle. Il propose de refonder la gouvernance étatique.
« La marche du vendredi 05 juin 2020 a fait couler beaucoup d’encres quant à son déroulement et ses finalités recherchées. Les maliens sont divisés entre les grilles de lecture pour certains et la préservation des intérêts sordides pour d’autres. Le Mali est traversé par des chaos depuis 2012 : – Le retour préparé et provoqué au Mali d’un millier de militaires Touaregs non désarmés, acculturés par la Lybie et devenus parfois arabophones et anglophones et accueillis par un pourvoir d’alors laxiste et corrompu. Ces militaires retournés vont s’accaparer du commandement militaire de la rébellion d’une ultra minorité de Touaregs qui va imposer son diktat et ses mensonges à une écrasante majorité de populations du Nord à cause de l’insouciance et de l’incompétence de l’élite politique. Il convient de rappeler que la question de la rébellion relève de prime abord, d’une confusion voulue et entretenue par certains acteurs internes aussi bien qu’externes, avançant l’hypothèse d’une minorité écartée de la gouvernance et lynchée par le pouvoir central de Bamako. Or à l’analyse, on s’aperçoit que cette minorité imaginaire fait l’objet d’une surreprésentation politique, au plan local, régional et national; – Les échéances électorales sous le Président Ibrahim Boubacar Keita ont toujours été caractérisées par des pratiques corruptives et des tricheries d’un autre siècle.
Non seulement les élections (présidentielle, municipales et législatives) ne se tiennent pas sur toute l’étendue du territoire, mais elles sont également conduites par des acteurs inféodés au quinquennat et aux groupes armés non conventionnels; – Les politiques maliens, notamment ceux des premières heures de la démocratisation des institutions restent les plus corrompus et les plus insouciants des intérêts de la collectivité. Leurs moyens de locomotion, d’habitation et les établissements scolaires et universitaires fréquentés par leur gouvernance du quinquennat est dénoncée et décriée parfois aussi par des activistes qui, eux-mêmes sont loin d’être orthodoxes et exemplaires; – La frasque du Directeur de la Sécurité d’État et d’autres ténors du pourvoir fait la honte de la République. Dans l’hypothèse très peu plausible d’un départ prématuré et musclé du Président de la République, la transition risque d’être compliquée que ne l’est la situation actuelle. Un scénario me paraît gagnant pour le Mali parmi tous les scénarii imaginables. Il s’agit de s’acheminer vers un gouvernement de consensus qui sera composé par des femmes et des hommes qui ont fait jusqu’ici leurs preuves de probité et de moralité dans la gestion des affaires publiques. Les ténors de ce gouvernement doivent être proposés par la partie de la société civile apolitique en concert avec le quinquennat du Président Keita et les responsables de la grogne sociale. Ce gouvernement du consensus du plein pouvoir doit s’attaquer aux priorités suivantes : – La réforme de l’appareil judiciaire qui rend la justice à géométrie variable.
Cette réforme passe irrévocablement par l’imposition de l’éthique et de la morale chez un nombre important des acteurs de la justice; – La révision de l’Accord pour la Paix et la Réconciliation afin de lui donner un ancrage national; – La refonte des instituions inféodées au quinquennat (Sécurité d’État, Cour Constitutionnelle, Commission Électorale Nationale Indépendante, Assemblée nationale…); – Le déclenchement d’un dialogue substantiel avec les groupes radicaux violents; – La redéfinition et la réadaptation des mandats des forces étrangères présentes sur le territoire qui ont mis le pays sur la touche dans leur agir; – La déthnicisation des problèmes sociaux afin d’y apporter des réponses justes et adaptées aux souffrances des populations, notamment celles en proie à l’insécurité; – La domestication du fait religieux, à travers l’institutionnalisation d’un islam malien inspiré du terroir et non celui importé de la péninsule ou de l’Afrique du Nord; – La formalisation d’un récit national à travers le concours des historiens, sociologues, politologues, tiré des histoires du pays, faisant de l’État Une âme et un principe spirituel. On ne peut pas évoquer le respect de la Constitution aujourd’hui, car elle n’a cessé d’être piétinée depuis 2012. Donc, il est de notre responsabilité, nous maliens de refonder le pays et de permettre aux jeunes générations d’espérer et d’oser avant que d’autres ne le fassent à notre place ».
La rédaction