PROJET DE NOUVELLE CONSTITUTION MALIENNE : Les propositions de Fabou Kanté

Sene Kunafoni

Contexte :
L’avant-projet de la nouvelle constitution a été rendu public depuis quelques jours et ses commentaires vont bon train. Les débats organisés autour du document prouvent non seulement que les maliens lui portent de l’intérêt mais dénotent surtout de la vivacité de notre démocratie. Le présent papier est notre part de contribution à l’amélioration de l’esquisse de la nouvelle loi fondamentale dont le projet définitif devrait être une étape décisive pour amorcer la 4ème République.
Si nous arrivons à produire une constitution adossée à la vérité, qui crée l’environnement institutionnel propice à la mise en place d’une justice acceptée de tous, d’un système éducatif performant et d’une économie efficace ; il n’y a point de doute que l’équation Paix-Sécurité-Développement sera résolue dans notre pays. C’est pour les besoins de cette cause que nous soumettons les cinq (05) propositions suivantes à la commission de rédaction de la nouvelle loi. Vos critiques sont aussi attendues.
Proposition n°1 : Extraire du document la référence au 26 Mars 1991.
La solidité d’une loi fondamentale dépend surtout de son ancrage culturel. C’est le respect de cette exigence qui confère à une constitution sa légitimité, toute chose qui facilitera son application. En effet, les principes fondamentaux de la République sont enracinés dans l’univers matériel et immatériel de la société qu’elle couvre par la loi et « l’esprit des lois. »
La constitution étant le fondement juridique qui détermine la voie empruntée par un pays pour son épanouissement ; vous conviendrez aisément avec nous qu’il y a d’énormes risques à y accorder un (01) mm² de siège au principal travers qui ébranle l’agir humain, c’est-à-dire le mensonge.
Nous avons relevé dans le préambule de l’avant-projet la référence au 26 Mars 1991. Cette date nous a toujours été présentée comme symbole d’une lutte révolutionnaire et populaire qui a créé les conditions de renversement d’un régime dictatorial par l’armée au profit de la liberté et de l’Etat de Droit. Nous nous attendions à savourer, par la suite, les délices de la bonne gouvernance et du développement. Cependant, force est de constater qu’en appréciant le bilan des acteurs du 26 Mars 1991 sur la base des résultats obtenus, l’on ne peut arriver qu’à des conclusions lamentables. Pire, il appert que cette phase de construction politique fut une page noire de notre histoire pour avoir concouru à l’anéantissement socioéducatif et culturel d’une génération entière. Le Parquet Général devrait se saisir de ce dossier par l’ouverture d’une information judiciaire sur la gestion publique des 30 dernières années dans notre pays. Les responsabilités du mouvement démocratique dans la désintégration et la désagrégation du Mali doivent être objectivement situées. Les faits sont d’une extrême gravité car pourraient être rangés dans la catégorie de crime contre l’humanité.
Il est aujourd’hui un secret de polichinelle que le renversement du régime de Moussa TRAORE a été la combinaison d’une série d’instrumentalisations fomentées depuis l’extérieur et mises en œuvre par des relais locaux, qui ont manipulé l’opinion nationale et les populations à des fins purement politiciennes. Attention ! Nous ne sommes pas en train d’affirmer que le régime GMT était exempt de reproches et qu’il n’existait pas de raisons valables pour le combattre Non ! Mais la vérité historique est que le discours insurrectionnel développé par la plupart de nos « patriotes sincères et démocratiques convaincus » était imbibé de mensonges dont l’unique dessein était de remonter la plèbe contre le prince du jour. Cette réalité incontestable jette le discrédit total sur l’écrasante majorité des acteurs de 1991.
Au risque d’être rattrapés dans 30, 40 ou 50 ans par les effets pervers des contre-vérités qui finissent toujours par mettre le grappin sur leurs auteurs ; il nous faut extraire de notre nouvelle constitution la référence aux événements du 26 Mars 1991. Ils ont été à plusieurs égards l’incarnation de manipulations qui ont conduit à des assassinats et crimes odieux qui ne doivent entacher le nouveau départ que nous souhaitons donner à notre pays. Même ceux qui avaient interprété la chute de Moussa TRAORE comme une revanche des forces progressistes sur celles régressives ont vite désenchanté. Ils se sont rendus à l’évidence que ce qu’ils ont qualifié de révolution du peuple a été dérobée à ce même peuple par quelques individus qui n’étaient mus que par des motivations machiavéliques. Pourquoi devrions-nous alors continuer à identifier le processus global de l’évolution de la nation entière à des maliens de cette trame, lorsqu’on est véritablement engagé dans une logique de renaissance nationale ? Cette attitude ne sera point raisonnable à moins que nous n’acceptions délibérément de persister dans le faux sachant bien qu’il est faux pour paraphraser Alexandre Soljenitsyne.
Le peuple malien a réussi en 2020 l’une des plus grandes mobilisations sociopolitiques Africaines du XXI ème Siècle en stoppant une calamité nationale qui nous conduisait tout droit et à coup sûr à une dérive collective. Le combat héroïque et pacifique conduit par le Mouvement du 05 Juin- Rassemblement des Forces Patriotiques ( M5-RFP) , qui n’a donné d’autre choix à l’armée que de s’assumer, est de loin plus patriotique que celui qui a prévalu en Mars 1991. Précisons ici que ce n’est point la valeur intrinsèque politique et sociale de ceux qui dirigeaient la lutte du M5 qui a persuadé le peuple à se battre contre le régime défunt. C’est plutôt l’Esprit du mouvement, considéré à l’époque comme la meilleure réponse à la cristallisation des frustrations socioéconomiques qui avaient atteint un niveau général paroxysmique, qui fut à la base des mobilisations. La preuve est que la majorité des animateurs du comité stratégique du M5-RFP, à quelques exceptions près, ont confirmé plus tard être effectivement des champions en populisme, en division, en quête d’ascension politique, de privilèges et d’avantages au détriment des objectifs du « Mali Kura. » Le mouvement est aujourd’hui en lambeau et a de loin terminé avec les imposteurs. Ceux qui ont fait haro sur les premiers morceaux de viandes qui leur ont été jetés sont aujourd’hui réduits soit à des figurants publics sans marge de manœuvre, soit à des marionnettes, ou à des oranges pressées, sucées et ensuite jetées à la poubelle. Cela n’enlève en rien la valeur qui a été celle des maliens à avoir mener cette mission de sauvetage patriotique jusqu’au bout. La volonté sincère du combat du M5-RFP s’arrime mieux à une révolution, contrairement aux révoltes suscitées en 1991 par une horde d’agitateurs qui était plutôt à la solde de forces occultes pour régler des comptes à un Président devenu gênant pour l’impérialisme politique Français et les intérêts des multinationales minières.

La quatrième République doit marquer une rupture intégrale et radicale avec les idéaux et avec certains acteurs de la troisième République. Par conséquent, il faudrait remplacer la référence au 26 Mars 1991 par notre attachement aux évènements du 18 Août 2020, date ayant marqué un tournant décisif dans l’aboutissement des luttes du peuple malien de l’intérieur comme de l’extérieur pour le changement. C’est en cela qui nous seront cohérant non seulement avec l’histoire mais aussi avec le peuple. Feu IBK serait alors la dernière représentation politique des dirigeants des 30 dernières années ; le Président qui sera élu après la transition serait l’incarnation d’une nouvelle race d’homme politique malien qui amorcera une nouvelle page politique pour une nouvelle génération. L’espacement générationnel étant de 30 ans, nous nous ajusterons ainsi avec le cycle normal des bouleversements sociaux pour être en harmonie avec les lois de la nature. Proposition N°2 : Inscrire dans la nouvelle constitution la création d’une section religieuse et coutumière au sein de nos différentes juridictions : Vu l’importance de cette proposition, sa délicatesse et la nécessité d’apporter quelques détails sur l’histoire du monde occidental et du monde musulman dans leurs rapports avec la religion ; nous nous proposons de la traiter en quatre alosarties : La laïcité et son contexte d’exportation au MaBe La nécessité de construction d’une laïcité Malienne.
3-L’enjeu républicain de la proposition.
4-Le bien-fondé de la proposition par ses avantages.

I-) La laïcité et son contexte d’exportation au Mali :
La constitution est l’instrument juridique par excellence qui détermine la forme de l’Etat. Celle en vigueur dans notre pays depuis le 25 Février 1992 a acté la forme laïque et Républicaine de l’Etat Malien. Mais qu’entendons-nous par laïcité ? Définissons ce concept afin que nous sachions d’abord de quoi nous parlons. Cette démarche méthodologique est utile lorsqu’on sait par exemple que le concept culture n’a pas la même signification pour un anthropologue que pour un agronome ; que le renard ne signifie pas la même chose pour le chasseur de gibiers que pour l’ingénieur hydraulique ; que le mot mur n’a pas le même sens pour le maçon que pour les utilisateurs de Facebook ; que le terme interpellation n’a pas le même contenu pour les unités d’enquêtes policières que pour les parlementaires ; que le transit pour le douanier est différent du transit par le spécialiste en gastro-entérologie etc. La définition des concepts a donc le mérite de mettre en exergue les réalités dynamiques qui couvrent les termes. C’est ce que nous appelons « la relativité sociolinguistique conceptuelle » qui soumet la définition de chaque mot à l’évolution de la culture à laquelle il appartient. Auguste CONTE affirmait dans ce sens : « la seule maxime absolue qui existe est qu’il n’y a rien d’absolu. »
La compréhension objective de la laïcité et de ses conditions d’exportation dans notre pays exige une analyse des rapports historiques entre la France et l’Occident d’une part et entre la France et le Mali d’une part. C’est cette analyse comparative qui nous permettra de définir ce concept.
1-Rapports historiques entre la France et l’Occident sur la laïcité :
L’histoire de la France s’inscrit dans celle globale de l’Occident Chrétien qui est étudié par les scientifiques sur trois (03) périodes : L’Antiquité, le Moyen âge et la Renaissance.
La première, nous serons très synthétiques sur les trois (03), est caractérisée par les immenses productions philosophiques. De l’école d’Ionie au lycée d’Aristote en passant par l’académie de Platon et les suivants ; l’Antiquité a éclairé une grande partie de la planète par les réflexions existentielles qu’elle a suscitées. Par ailleurs, le mode de gestion de la chose publique « RES publica » qu’elle a expérimenté à travers le système de gouvernance basé sur le pouvoir appartenant au peuple à savoir la démocratie élective, a bénéficié d’une notoriété répandue.
Quant au Moyen âge, il est l’incarnation de l’obscurantisme. Il a été caractérisé par une inhibition du savoir par le pouvoir religieux qui s’est férocement acharné contre tout esprit critique. Cette période a créé en Occident les conditions favorables à la barbarie contre les scientifiques considérés comme des apostats. Leurs sorts étaient scellés par les tristement célèbres tribunaux d’inquisitions… Quand Galilée affirma que la terre tourne, il fut simplement décapité par le pouvoir Catholique Ecclésiastique au nom de la préservation de la foi. Ce qu’il faut principalement retenir de l’histoire du Moyen âge en Occident est que cette époque a été celle de toutes les atrocités au nom de la religion.
La Renaissance véhicule une philosophie qui peut être traduite par la métaphore suivante : « L’Occident est né sous l’Antiquité, mort au Moyen âge et a ressuscité avec la Renaissance. » Un cycle de vie bizarrement identique et celui de Jésus Christ, en tout cas tel que présenté par le Bible.
Cette « seconde vie de l’Occident » a illuminé par la science et réglementé les rapports sociaux par le Droit. Trois importants faits ont accéléré la Renaissance : Le voyage de l’Italien Marco en Asie (C’est lui qui ramena les spaghettis de la Chine), la découverte de l’imprimerie par Gutenberg et le passage du géocentrisme à l’héliocentrisme théorisé par Copernic…La Renaissance, sur le plan des mouvements sociaux a été préparée et obtenue au prix d’énormes sacrifices déployés par les philosophes des lumières. Ces derniers furent les acteurs de premier plan à participer aux luttes pour le changement des mentalités dans le but de renverser les rapports de force entre la religion et l’Etat.
L’une des manifestations de la Renaissance en France s’est traduite par le choix porté sur une laïcité sévèrement méfiante vis-à-vis du divin et du religieux. Cette attitude a été motivée par une volonté ferme et affichée du peuple Français à se séparer progressivement des séquelles psychosociales causées par les douloureuses expériences du Moyen âge et de la gestion de ses stress post-traumatiques. Raison pour laquelle, la lutte farouche contre l’expression de la religion et de Dieu dans les affaires publiques est toujours d’actualité dans l’hexagone et sous sa forme la plus rigide. Ce combat a franchi une étape décisive au début du XXème Siècle avec le vote de la loi de 1905 qui a consacré la séparation institutionnelle de l’Eglise, symbole de la religion, et de l’Etat laïc.
Quatre (04) principes caractérisaient le nouvel ordre social Français et sur lesquels repose fondamentalement la laïcité à savoir :
1- La séparation des pouvoirs ;
2- Débarrasser l’espace public de l’expression formelle des croyances, de la foi, de la religion et de Dieu en classant ces questions dans le domaine privé et personnel.
3- L’équidistance de l’Etat vis-à-vis des religions.
4- La préservation des libertés individuelles, notamment celles de conscience et de culte.
Voici en partie l’explication de la posture d’opposition radicale des pouvoirs publics Français face à l’exposition publique des questions religieuses. Il serait bon de marquer un bémol pour rappeler que la laïcité n’a ni évoluer de façon linéaire ni de façon unanime en Occident. A chaque pays correspond sa laïcité dont le contenu est fonction de son histoire et de ses orientations politiques et sociales. La laïcité Française est différente de la laïcité Anglaise ou de celles Allemande, Espagnole, Italienne, Belge etc. De ce fait, chaque définition de la laïcité doit être contextualisée.
Partant de là, on peut donc définir la laïcité Française comme « une idéologie née du processus d’émancipation de l’Etat, fondé sur l’engagement à débarrasser le peuple des traumatismes sociaux causés par la référence à la religion et à Dieu dans la gestion des affaires publiques sous le moyen âge. » Faites l’analyse des discours et instruments juridiques construits et propagés autour du concept laïcité en France, vous-vous apercevrez qu’ils convergent tous vers l’objectif cité dans notre définition.
2-Rapports historiques entre la France et le Mali sur la laïcité :
L’Afrique a connu l’esclavage et la colonisation dont les conséquences ont été de nous avoir culturellement dessouchés (selon Aminata Dramane TRAORE) et déracinés (selon Joseph Ki Zerbo.) Ce qui avait pour but, pour nos colons, de continuer à orienter nos destins ici à partir de là-bas (selon Guy Rocher) même après les indépendances. C’est pourquoi, la compréhension des concepts construits par la France, adossée à ses rapports historiques avec des déterminants sociaux particuliers continue à influer sur l’organisation sociale des pays qu’elle a colonisés.
Les contenus conceptuels sont propagés et véhiculés par des vecteurs sociaux, économiques, culturels, institutionnels et politiques. Ainsi, la plupart des outils juridiques utilisés par les anciennes colonies Françaises, dont le Mali, sont du copier-coller. Cet état de fait constitue un moyen de pérenniser la domination Française sur nos cadres et nos populations. Ces derniers se voient imposer des définitions et explications terminologiques qui ne riment en rien avec nos réalités socioculturelles et religieuses car importées d’un univers complètement différent et souvent opposé au nôtre. La constitution du 25 Février 1992 est pratiquement Française. Le code civil appliqué dans nos tribunaux est Français et on peut continuer avec la liste. Nous nous demandons d’ailleurs quels efforts de recherche fournissent nos professionnels du Droit, en l’occurrence les avocats et les magistrats, pour adapter ces outils qu’ils utilisent au vécu des maliens en vue d’une souveraineté et d’une indépendance de notre justice. C’est l’occasion de féliciter le comité de rédaction de cet avant-projet, dans lequel est perceptible la vision de prise en charge de certaines de nos réalités par la nouvelle constitution.
Nous venons donc de démontrer que :
Chaque concept est chargé de faits sociaux ; La laïcité Française est spécifique à l’histoire de France ; La laïcité au Mali est la conséquence de l’exportation coloniale Française ; Il n’existe pas de laïcité Malienne formelle.
A suivre…

Fabou Kanté Mouvement Tabalé

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